Carte électorale et mode de scrutin
Un texte de Paul Cliche qui démontre que la réforme proposée de la carte électorale ne corrigera guère les défauts du mode de scrutin actuel.
Les résultats des récentes élections n’étaient pas aussitôt connus que le débat sur la réforme du mode de scrutin, qui n’a de cesse au Québec depuis quarante ans, a repris de plus belle. Les tenants du scrutin proportionnel soutiennent qu’il est le seul moyen de mettre fin aux distorsions entre la proportion de votes obtenus par les différents partis et celle des sièges parlementaires que leur attribue (ou dont les prive) le scrutin majoritaire. Ainsi, la volonté populaire exprimée dans l’urne n’est pas respectée, les partis ne sont pas représentés avec équité, une majorité de votes ne comptent pas et des courants importants de pensée ne sont pas représentés à l’Assemblée nationale. On sait en effet que ce dernier accorde une prime, parfois aberrante, au parti vainqueur afin d’assurer la formation de gouvernements majoritaires.
Par contre, certains intervenants, dont des chroniqueurs politiques, croient que les distorsions de représentation proviennent plutôt de notre carte électorale inégalitaire où les conscriptions rurales comptent beaucoup moins d’électeurs que les circonscriptions urbaines et de banlieue. Ils soulignent avec raison le fait qu’à cause de la carte électorale actuelle le vote d’électeurs ruraux a deux fois plus de poids que ceux d’électeurs urbains et surtout d’électeurs habitant dans des banlieues champignons.
Le remède à ce genre d’inégalité réside dans la mise au jour à intervalles plus rapprochés de cette carte afin qu’elle reflète mieux la vitesse de l’évolution démographique. Il faudrait surtout respecter des critères plus égalitaires. Ainsi, lors de la confection de la carte provinciale actuelle, qui en 2002 a remplacé celle de 1994, la Commission de la représentation électorale a permis de nombreuses dérogations à la norme actuelle établissant un écart maximum de 25%, en plus ou en moins, du nombre moyen d’électeurs par circonscription. De telle façon qu’en 2007, alors que la moyenne d’électeurs par circonscription s’établit à 44 834, cinq circonscriptions dépassent la limite supérieure de 56 043 et sept sont sous la barre inférieure de 33 626. De plus, une trentaine de circonscriptions s’approchent de ces limites. On peut donc prévoir que la situation sera encore bien pire lors des prochaines élections si l’Assemblée nationale n’agit pas rapidement.
Une illusion qui persiste
D’autre part, les distorsions de représentation causées par le scrutin majoritaire sont d’une autre nature. Elles proviennent surtout de la mécanique de ce mode de scrutin qui permet l’élection de candidats à la majorité relative et non absolue (50%+1) ainsi que du découpage de l’ensemble du territoire en petites unités locales (circonscriptions).
Ainsi, l’histoire démontre que même avec une carte électorale fraîchement redécoupée afin d’assurer l’égalité du vote des électeurs, les iniquités de représentation peuvent s’avérer aberrantes à cause des effets du scrutin majoritaire. Ainsi, en 1972, le gouvernement Bourassa, venant de refuser l’instauration d’un scrutin proportionnel, a cru régler le problème des distorsions en redessinant la carte électorale selon des critères fortement égalitaires. Mais les élections survenues quelques mois plus tard, en 1973, ont été celles qui ont produit les effets les plus aberrants de l’histoire du Québec. Le Parti libéral a alors obtenu 92,7% des sièges (102) avec 54,7% des votes, soit une prime de 38%. Le Parti québécois. lui, n’a obtenu que 6 sièges (5,5%) avec 30,2% des suffrages.
Une simple réforme du découpage électoral ne suffit donc pas à régler les problèmes découlant du scrutin majoritaire. Cette conclusion est endossée par le politicologue Louis Massicotte qui, dans son étude sur la révision du mode de scrutin au Québec, a démontré, grâce à des simulations, qu’une carte électorale fortement égalitaire n’aurait pas empêché l’anomalie qui s‘est produite en 1998 alors que le PQ a conservé le pouvoir même s’il a obtenu moins de votes que le Parti libéral renversant ainsi la volonté populaire. Il est surprenant que des chroniqueurs politiques chevronnés persistent encore aujourd’hui dans cette illusion.
Paul Cliche, politologue