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Coalition pour la protection des investisseurs

Commentaires sur la décision de la Banque du Canada

Et si Ben Bernanke s’était trompé de crise (1)
Claude Béland
Le Devoir (opinions)
lundi 15 octobre 2007



Ben Bernanke, le patron de la Réserve fédérale américaine (Fed), s’est-il trompé en abaissant brusquement le taux directeur le 18 septembre ? Malgré toutes les apparences d’une crise de crédit, la tourmente financière actuelle révèle une réalité bien différente : celle d’une crise fiduciaire dont le coeur est la rémunération variable des intermédiaires.

Car les banques centrales — Fed ou Banque du Canada — orientées principalement sur les taux pour contrôler l’inflation, perdent graduellement leur influence à mesure que l’industrie du crédit diminue au profit du secteur fiduciaire des valeurs mobilières. Ce ne sont pas les millions d’emprunteurs hypothécaires à haut risque qu’il faut blâmer. Il faut revoir un système de transfert de risques et d’incitations financières vidé de son sens des responsabilités. En convertissant le crédit en valeurs mobilières négociables, chacun empoche sa commission et plus personne ne se sent responsable, sauf lorsque la réputation institutionnelle est en jeu.

Voilà l’une des quatre leçons qui devraient inciter les législateurs québécois à conclure leur initiative inachevée de protection des épargnants, lancée au lendemain du scandale des fonds communs de placement en 2006. Plus de la moitié des actifs « illiquides » de papiers commerciaux adossés à des créances (PCAC) non bancaires sont entre les mains d’institutions québécoises et touchent des fonds de pension ou des agences de placements gouvernementales canadiennes !

Le risque de crédit, au coeur des préoccupations financières du XXe siècle, est passé au second rang derrière l’enjeu fiduciaire ou ce qu’on appelle aujourd’hui le risque de confiance touchant toute l’industrie financière. Et la crise que nous vivons est le prix de cette innovation qu’il faudra apprendre à gérer différemment.

Secundo, l’évolution des banques et des caisses populaires vers le modèle de supermarchés financiers a contribué à augmenter leurs risques, contrairement aux prévisions des réformes bancaires depuis 1987. Même les fondements du coopératisme, dont les plus grands facteurs de croissance dépendent désormais de structures corporatives à vocation fiduciaire, en prennent ombrage.

La leçon numéro trois est que les investisseurs institutionnels « qualifiés », comme les régimes d’épargne, de retraite et les fondations, ne sont guère mieux placés que les petits investisseurs dans un monde d’investissement de plus en plus opaque et complexe. La récente crise de liquidité en est la preuve et illustre le danger d’une politique d’autruche en les excluant du champ de surveillance lorsque leur contamination peut toucher des centaines de milliers de retraités et de travailleurs actifs. Ici, la Régie des rentes du Québec et l’Autorité des marchés financiers (AMF) devront apprendre à coopérer plus activement pour prévenir les dangers plus fréquents de risques à effet domino.

Leçon quatre : le temps est venu d’ouvrir le débat sur les trois grandes options de modèle réglementaire qui s’offrent aux Québécois. Soit une commission canadienne des valeurs mobilières, mettant fin à l’AMF. Soit un régime de passeports permettant aux treize régulateurs canadiens de continuer à coexister sur la base du plus petit commun dénominateur. Soit une commission pour le reste du Canada et une autre pour le Québec, avec les pouvoirs de traiter directement avec les autorités de leur choix au Canada et à l’étranger en ouvrant toutes les frontières à la concurrence des services financiers. C’est la troisième option.

Imposer la puce et le collier

Les banques ont changé radicalement de visage en vingt ans, alors que leur rentabilité triplait en absolu. Depuis 1998, les six grandes banques gagnent moins d’argent sur leurs activités de prêts que sur des activités aussi diverses que les honoraires de cartes de crédits, le courtage, la garde de valeurs et la gestion de portefeuilles pour tiers, y compris les fonds communs de placement et les transactions pour compte propre.

La titrisation, par laquelle banques et coopératives diversifient leurs risques en délestant leurs prêts auprès d’investisseurs en quête de rendements plus élevés, engendre des revenus de quatre milliards de dollars depuis trois ans. D’antan, l’institution accordait un crédit directement au futur propriétaire et conservait tous ses risques jusqu’à terme. Aujourd’hui, la chaîne commerciale comprend six à huit intermédiaires, en incluant les avocats et les agences de notation.

Comment les derniers en ligne peuvent-il se sentir responsables de la qualité du prêt original ? Leur rémunération variable ne dépend plus du remboursement du capital ou des intérêts versés par l’emprunteur initial, mais des commissions, honoraires et gains de capital encaissés tout au long d’une chaîne de plus en plus ténue et saucissonnée. Voilà pourquoi la SEC américaine et René Carron, président du Crédit Agricole en France, proposent d’assurer la traçabilité des prêts (sorte de puce) et d’imposer un système de collier à chaque crédit en conservant à l’initiateur de chaque prêt une part de responsabilité ultime, quelle que soit la longueur de la chaîne.

La Banque Royale du Canada (RBC) et la Banque Nationale retirent plus de leurs activités purement fiduciaires (courtage, gestion pour compte propre et tiers, intermédiation, administration, etc.) que de toute autre forme d’activité. Pas étonnant que quatre des six banques canadiennes soient dirigées par des professionnels de valeurs mobilières plutôt que du crédit. Autre signe des temps : avec 2,2 milliards, les actifs des régimes de retraite et fonds collectifs au Canada dépassent maintenant les avoirs de toutes les banques canadiennes réunies. Voilà pourquoi ces fonds de pension et gestionnaires sont devenus les nouvelles stars du marché.

Changement de valeurs

Ce changement de règles a bouleversé tout le modèle de valeur en finance. L’industrie du crédit assumait une obligation de résultat en devant rembourser tous ses dépôts plus intérêts pour éviter la faillite. C’était l’implacable loi du « paie ou meurs ! » ou ce qu’on appelle le risque de solvabilité. Mais l’industrie de valeurs mobilières dépend d’une règle fort différente et plus spongieuse : une obligation de moyens plutôt que de résultat.

Les fiduciaires ne sont pas astreints à des obligations de rendement, comme le sont les banques pour le crédit, mais doivent démontrer leur aptitude à traiter « l’argent des autres » en faisant appel aux pratiques fiduciaires généralement reconnues et acceptées, beaucoup plus difficiles à mesurer que des obligations de crédit ! Le devoir fiduciaire, poreux et mal défini par la plupart des législateurs, n’a plus rien à voir avec le devoir clair et mieux délimité du guichet de crédit.

De nombreuses caisses de retraites et d’entreprises canadiennes en font l’expérience à titre de créancières des 22 conduits de papier commercial adossé à des créances (appelés PCAC) non bancaires depuis août dernier, sans droit de recours auprès de leurs cinq gestionnaires. D’autant plus que ces régimes détiennent souvent des unités de caisses communes gérées par des sociétés de gestion externes qui ont investi dans des PCAC, prolongeant ainsi la chaîne. Des centaines d’autres professionnels le constatent avec la création à compter du 1er novembre prochain des comités d’examen indépendant imposés à toutes les familles de fonds communs de placement par les autorités canadiennes pour mieux contenir les effets de conflits d’intérêt des promoteurs.

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Claude Béland

Rosaire Couturier

Andrée De Serres

Reynald Harpin

Robert Pouliot

Michel Rioux

Membres de la Coalition pour la protection des investisseurs

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